Après deux mois de mobilisation, les surveillants d’établissement et les accompagnants d’élèves en situation de handicap redistribuent leur caisse de grève. L’occasion de revenir sur la lutte des laissés pour compte de l’Education nationale.
Une pluie de billets de 5 euros s’échappe de l’enveloppe pleine et vient voleter à terre. Des mains consciencieuses les ramassent aussitôt, constituent avec soin des liasses fournies et les alignent sur la table. Exhibée comme un trophée, la caisse de grève du collectif « Vie scolaire en colère » a atteint 8 409 euros en tout, récoltés grâce à une cagnotte en ligne et à deux soirées de soutien.

Une petite quinzaine de personnes se sont déplacées à l’AG dans les locaux de Solidaires malgré ce début de vacances. Parmi eux, une fille aux cheveux courts en bataille se lance dans la répartition de la somme. Elle dirige les opérations, plongée dans les colonnes d’un tableau Excel : « 1 216 balles pour Thomas, qu’il va répartir dans deux collèges différents. » A ces mots, Arthur*, crâne rasé et survêtement, renverse la boîte de café équitable qui sert de tirelire, scotche les pièces entre elles, compte les billets et scelle l’enveloppe qui passe silencieusement de main en main jusqu’au destinataire.
Ce petit cérémonial de bric et de broc vient récompenser plus de deux mois de mobilisation des personnels précaires de l’Education Nationale, AED (Assistants d’éducation) et AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) réunis. Les sommes versées remboursent 70 grévistes d’une trentaine d’établissements à hauteur de 65% de leur salaire pour les plus précaires avec enfants à charge, et de 50% pour les autres.
Précarité des contrats
De mémoire de surveillant, c’est la première fois que les AED sont aussi mobilisés, estime Jean, visage creusé et boucle d’oreille, assistant d’éducation depuis deux ans dans un lycée du XVIIIème. « Le mouvement contre la réforme des retraites nous a aussi permis de nous organiser en tant qu’AED pour lutter contre la précarité du statut. » explique-t-il.
Payée au SMIC, la profession est régie par un contrat d’un an renouvelable dans une limite de six ans. « L’Education nationale considère que c’est un job étudiant. C’est une manière de faire accepter que ce n’est pas un vrai métier qui mériterait des conditions de travail correctes. » analyse Arthur. Pourtant, Arthur et Jean ne sont plus étudiants depuis quelques années, et ne vivent que de ce salaire. « On a des vraies fonctions pédagogiques, on encadre les élèves, on crée du lien, ça devrait être valorisé, mais on n’est pas considérés » estime Arthur, amer.
D’autant que les contrats ne sont parfois pas renouvelés. Santiago, en master de préparation au CAPES, a ainsi dû changer d’établissement après un an dans un lycée du XIVème : « On n’a aucune visibilité sur l’avenir, c’est l’instabilité totale. On est des pions qu’on jette à la poubelle » constate-t-il.
Un turn-over qui se fait au détriment des élèves. Cette année, bon nombre de collègues de Jules, un jeune homme de vingt-deux ans portant un tee-shirt « action antifasciste », sont partis. Il raconte : « Les gamins, on les voit grandir, on s’attache. L’important, c’est de pouvoir effectuer un véritable suivi et de construire un lien avec les élèves. Et si l’équipe change tout le temps, ce n’est pas possible. Ils n’ont pas confiance en nous et ils ne viennent plus nous voir quand il y a des situations de harcèlement par exemple. »
Même si la crainte de ne pas être réembauché pèse davantage lorsqu’on fait grève, Jules avoue se sentir plus fort grâce au collectif. Il sourit : « Ça fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seul. »
« T’as pas de formation, t’arrives sur le tas »
Les AED déplorent le manque de formation reçu avant d’entrer en fonction. « T’arrives sur le tas » résume Arthur. « Tu peux te retrouver avec des enfants de différentes catégories sociales ou avec des enfants handicapés, plus ou moins turbulents, et il faut savoir réagir. C’est pas donné à tout le monde, tu peux vite te retrouver débordé. » Jules regrette de ne pouvoir élaborer un projet pédagogique avec les enfants : « Je voudrais monter des ateliers d’écriture, mais j’ai pas les compétences pour le faire » dit-il dans un haussement d’épaules.
Il se fait tard dans le bureau de Solidaires de Colonel Fabien. « Il faut qu’il tombe, tombe, tombe… » Dans la salle on entend fredonner « Le pieu » de Marc Roubine, comme un écho de manif. L’atmosphère est à la concentration, les rires fusent, nerveux, fatigués. « Je suis lancé là ! » reprend Jean en pianotant à toute vitesse le communiqué de soutien aux lycéens en lutte contre les E3C, sous la dictée des autres. Il relit, les sourcils froncés : « Quelle vision de l’éducation pour des lycéens forcés de composer sous la menace d’hommes en armes ? Ça, ça parle, non ? » s’exclame-t-il, triomphant.
*A la demande des personnes, les prénoms ont été anonymisés.
Pour soutenir Vie scolaire en colère