À Belleville, dans le XXe arrondissement, les habitants s’inquiètent d’une propagation du virus. En deux semaines, le quartier s’est vidé de sa population chinoise. Au grand dam des restaurateurs et supermarchés, dont les chiffres flanchent.
À la sortie du métro Belleville à Paris, le calme surprend. Malgré le soleil en ce début de février, à midi, la rue principale est presque déserte. Ce climat tranquille cache en réalité une inquiétude. Depuis deux semaines, début de l’épidémie de Coronavirus en Chine, le quartier chinois se vide. « Il n’y a plus personne dans les rues. Normalement à 13 heures, un samedi, le restaurant est plein. Là, il y a trois clients », se désole Marine, serveuse au Dong Fa.
« Il n’y a plus personne dans les rues »
« Il n’y a plus personne dans les rues »
Ces quinze derniers jours, le restaurant chinois a enregistré une perte de 50% de ses ventes habituelles. « Il y a eu les gilets jaunes, les grèves,… On s’en est remis un peu pendant trois, quatre jours, et là rebelote… Si ça continue, on ne pourra plus payer nos loyers et nos crédits », souffle-t-elle. Originaire de Chine par ses parents, Marine a vu la crainte des Chinois de France grandir sur le réseau social Wechat. « Au fur et à mesure que les cas de Français touchés s’accumulaient, les Chinois de Paris partageaient sans cesse des articles. Ça a fait grandir l’inquiétude. » Constat d’autant plus préoccupant qu’elle déclare que 90% de sa clientèle est chinoise.
Les clients chinois confinés
À quelques pas du Dong Fa, un traiteur arbore une vitrine débordante de pâtes de canard, d’oreilles de porcs et autres spécialités chinoises. Lin rêvasse, téléphone en main, derrière son comptoir. La gérante n’a pas eu un client de la journée. Elle songe déjà à mettre la clé sous la porte si la fréquentation continue de fléchir. « Je ferme dans une heure et je vais devoir jeter la moitié de mes produits qui ne seront plus frais demain. C’est très dur », avoue-t-elle. Parmi ses clients, des amis chinois. Ils ne sortent plus depuis deux semaines. « Ils font quelques courses, vont au travail mais le week-end, ils se confinent par peur d’être contaminés. »
La mémoire de l’épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) pourrait expliquer cette crainte. C’est en tout cas ce qu’estime Alexandre, patron d’un restaurant voisin depuis 19 ans. « Ça démarre exactement comme en 2003 quand on commençait à parler du Sras en France : ça nous avait glacé pendant trois mois au moins… », désespère ce franco-chinois. Cette maladie infectieuse, partie elle aussi d’un coronavirus, avait débuté en Chine fin 2002. Près de 800 décès avaient été constatés dans le monde.
Crainte paranoïaque ?
Ce midi, la grande salle du restaurant d’Alexandre n’est qu’à moitié remplie. Les quelques clients présents sont des habitués, « des européens qui continuent de venir manger et qui ont confiance dans mes produits et leur provenance », soupire-t-il. Car depuis le début de l’épidémie, la frayeur porte sur la contamination des aliments.
Antoine, vigile de la chaîne de supermarché Paris Store, à quelques mètres du métro Belleville, raconte en riant comment des clients lui ont demandé si les nouilles du magasin, importées de Chine, avaient des chances d’être infectées par le virus. « J’ai l’impression que c’est une plaisanterie quand j’entends ça, les gens sont paranos », sourit-il. Un sac de riz en main, Pauline, cliente régulière de la chaîne, trouve cette crainte démesurée. « Ce n’est pas de la peur, c’est du racisme. Les gens qui ont peur en consommant ici sont ridicules, le virus ne peut pas rester vivant autant de temps sur de telles surfaces », s’indigne la jeune femme de 29 ans.
Au siège de la chaîne, le responsable refuse de donner les chiffres des dernières semaines. Mais depuis le début de l’épidémie, Jien, directeur adjoint du Paris Store de Belleville, est pessimiste. Sa clientèle se réduit de jour en jour. « J’ai peur que ça empire. Si c’est le cas, nous devrons nous séparer de salariés ». Six cas de Français infectés par le virus ont maintenant été recensés en France. Si ce chiffre continue de grimper, les restaurateurs de Belleville ne sont peut-être pas près de retrouver l’effervescence du quartier.