Rue des Panoyeurs, pluie morose du dimanche soir. Des t-shirts estampillés d’un poing américain s’agglutinent aux abords du Saint Sauveur, ce bar antifasciste ouvert 7 jours sur 7 qui a vu le jour dans le quartier de Ménilmontant il y a 14 ans. Victime d’une fermeture administrative de 9 jours, il a de nouveau ouvert ses portes jeudi 30 janvier. Quatre jours plus tard, les habitués sont au rendez vous.
– « Dis-moi t’es bien endimanché Momo »
– « Bah ouais on est dimanche ! »
Les joyeux rigolards qui se retrouvent ainsi portent le même uniforme, grimé du logo de leur groupe : le fameux poing américain au dessus duquel on peut lire « Welcome to Ménilmontant ».
Cible de l’extrême droite
The Blaze accompagne d’un beat cadencé l’ambiance feutrée de la pièce. Un calme qui n‘est pas toujours de mise à en croire ce qu‘on voit : cachée derrière le comptoir, une « gazeuse » (NDLR : bombe lacrymogène à poivre) entre les bouteilles de liqueurs et la tireuse qui n’a pas le temps de sécher. Quand on demande au barman si ce bar est visé par des groupes violents d’extrême droite parisiens, il dit « ça arrive » sourire pincé aux lèvres. Lieu de rencontre emblématique des « antifas » ( mouvances d’extrême gauche), le Saint Sauveur semble être aussi bien cible de violences de groupuscules d’extrême droite que de pressions administratives.

Un pastis plus tard, on apprend que le Saint Sauveur est bel et bien en danger. Suite à une fermeture de 9 jours, l’historique bistrot antifasciste de Paris est bien ouvert ce dimanche. Les clients ne manquent pas au comptoir. Parents et leurs bambins côtoient les habitués du comptoir entre deux bols de chips. Au programme, discussions politiques et recettes de cuisine échangées d’un ton bon enfant.
« La convivialité est dangereuse »
« Les flics sont déjà passés deux fois depuis la réouverture », nous apprend le barman. « Je vois deux explications : la gentrification du quartier, il faudrait que tout ressemble aux bars avec vigiles de la rue Oberkampf… et en plus, avec toutes les luttes d’en ce moment, y a de nouveau des émeutes, et des émeutiers qui trainent par ici. Du coup c’est évidemment sur nous qu’on tape » Ce gaillard habillé tout en noir ajoute « c’est de la répression politique ». La préfecture justifie sa décision par nuisances sonores répétées. « Y a quatre bars au kilomètre, les autres sont pas embêtés », rétorquent les habitués, pointant de l’oeil les autres bars tout aussi « bruyants » de ce quartier fêtard.
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« Parce que, pour eux, la convivialité est dangereuse car synonyme de subversion. Parce que ce qu’ils ne contrôlent pas leur fait peur. Parce que, dans leur vision du monde, le Paris antifasciste, populaire et militant n’a pas sa place. Parce que les nouveaux bourges branchés qui viennent vivre à Ménilmontant, séduits par ce “quartier qui bouge”, ne veulent pas que “ça bouge” en bas de chez eux. (…) Parce que nous ne sommes pas de ceux et celles qui courbent l’échine. (…) Dire que ça nous fout dans la merde est un euphémisme… » peut-on lire sur la page Facebook du Saint-sauveur.
Dernière commande
Au bout du comptoir Fabien et Renaud, deux hommes dans leur cinquantaine, ont tout l’air de piliers de bar. Ils parlent fort, comme tous ici, mais pas avec tout le monde. Au fil de la discussion Renaud dit « C’est mon bar de quartier, on ne parle pas que de politique ici, alors la fermeture je ne la comprends pas. » Clope au bec, on discute dehors pendant une dizaine de minutes. Assez de temps pour que deux voitures de police différentes passent. Toutes deux s’arrêtent à notre hauteur, ils nous dévisagent et repartent lentement.

Avant de sortir des murs tapissés de stickers et de graffitis aux slogans antifascistes, on commande. Un shot de sambuca chacun, le barman n’en a plus « J’ai ce truc avec des paillettes d’or si vous voulez ». Il sort une drôle de bouteille de l’arrière du bar, nous sert cet étrange liquide. On lève le coude. Hop, le liquide disparaît. « À bientôt ! » lance le barman, alors que l’on pousse la porte vitrée du bar mythique de l’extrême gauche parisienne.