Lycées bloqués, épreuves annulées les unes après les autres, professeurs défilant dans les rues… La première session des épreuves communes de contrôle continu (E3C) n’est pas un long fleuve tranquille.Depuis le 5 décembre, M.J. , professeur d’histoire-géographie dans un lycée proche de la ligne 2 multiplie les demi-journées de grève pour protester contre le maintien de la session de février.
Ces E3C font partie du nouveau bac mis en place par la réforme du lycée et comptent pour 30% de la note finale de l’examen. Chaque lycée doit organiser deux sessions pour les élèves de première (en janvier et ne mai), et une pour les terminales. Choix des dates, des sujets, correction... Presque tout se passe en interne. Les enseignants choisissent simplement un sujet parmi ceux disponibles dans une banque officielle. Pour le gouvernement, l'objectif est de valoriser le travail régulier des élèves. Un examen final en Terminale reste maintenu à la fin de l'année.
Quelle est votre revendication principale ?
Il faudrait reporter ces épreuves. Non pas pour le confort des professeurs mais pour les élèves. L’improvisation est totale, et ce sont les élèves qui en souffrent le plus. Cela fait des années que j’enseigne et j’ai rarement vu des élèves aussi inquiets.
Vos élèves sont-ils prêts à passer les E3C ?
Non. Les professeurs n’ont eu accès qu’à un ou deux sujets types du nouveau bac au printemps dernier. Donc on n’a pas pu préparer convenablement nos élèves de seconde, qui aujourd’hui sont en classe de première et doivent passer les E3C. On n’a pas davantage eu le temps de les préparer pendant leur année de première. La banque nationale de sujets a ouvert avec une semaine de retard, le 9 décembre au lieu du 1er, et, avec les grèves, on n’a pas pu les entraîner. L’épreuve d’histoire-géographie comporte deux exercices. Mes élèves ont pu s’entraîner sur l’un ou l’autre des exercices mais n’ont jamais pu faire les deux d’un coup en temps réel. Ça va être la panique à bord !
L’organisation des E3C dans votre lycée a-t-elle été compliquée ?
L’organisation pose beaucoup de questions : quand programmer les épreuves, combien de salles mobiliser… Si on ne met qu’un élève par table, le risque de triche est moins élevé. Mais dans ce cas il faut utiliser beaucoup plus de salles.
En dehors des problèmes d’organisation, pourquoi craignez-vous que chaque lycée puisse organiser « son » bac ?
Cette réforme change la valeur du bac, elle ne sera plus nationale mais locale, selon le lycée d’origine. Pour corriger les E3C, chaque lycée fera sa cuisine interne et improvisera. Mais le problème, c’est qu’à la fin de la terminale, Parcoursup sélectionne les élèves. Il y a donc un risque de « surnoter » ses élèves pour ne pas les pénaliser. Certains élèves viennent déjà demander des travaux supplémentaires pour remonter leurs notes… C’est une négociation permanente. Et d’autres lycées pourront gonfler leurs notes pour atteindre 100% de réussite au bac.
Comment va s’organiser la correction dans votre lycée ?
Un professeur ne peut pas corriger sa classe. Les copies de mes élèves seront donc corrigées par mes collègues. Mais même si les copies restent au lycée, elles doivent être scannées obligatoirement. Nous n’avons pas d’heures libérées pour les corriger, on ignore combien on en aura chacun. La rémunération change aussi : les correcteurs seront payés 50 euros par lot, contre cinq euros par copie auparavant. Sauf qu’on ne sait toujours pas combien de copies contient un lot…
Les professeurs du lycée doivent choisir ensemble le sujet qui tombera aux E3C. Comment êtes-vous tombés d’accord sur un sujet commun ?
C’est le coordinateur d’histoire-géographie qui a trouvé un sujet traitable par tous nos élèves. Mais pour cela, il faut d’abord qu’il parvienne à accéder à la banque nationale de sujets. Parfois, on s’y connecte très facilement, parfois, ça ne fonctionne pas. La dernière fois que j’ai voulu entraîner mes élèves sur un sujet type bac, il m’a fallu plusieurs heures avant de pouvoir accéder au site. J’ai des collègues qui n’ont toujours pas réussi à se connecter.
Certains sujets sont déjà tombés dans d’autres lycées et ont fuité sur Internet. C’est le cas du sujet que vous avez choisi ?
Je ne sais pas. Mais il y a un vrai problème dans le nombre de sujets disponibles. Avec mes élèves, je n’ai traité qu’un thème d’histoire et qu’un thème de géographie. Il y a assez peu de sujets qui ne concernent que ces deux thèmes.
Quelles suites pour la mobilisation ?
Dans mon lycée, les épreuves vont sans doute avoir lieu. Pour la correction, peut-être qu’on décidera de pousser l’absurdité à son terme et de mettre d’excellentes notes à tout le monde…
Propos recueillis par Mathilde Ansquer
Crédits photo : Ecole Polytechnique – J.Barande / Licence CC BY-SA 2.0