Le magasin participatif les 400 Coop, après trois ans de gestation, a ouvert ses portes fin janvier dernier dans le XIe arrondissement de Paris, près de la station Avron. Les premiers sociétaires de cette jeune coopérative sont bien décidés à conserver leur idéal de proximité et d’indépendance.

Depuis trois mois, tous les jours, les membres de la coopérative des 400 Coop voient des curieux s’arrêter devant leur boutique. Tordant le coup pour apercevoir les étals et les caisses improvisées, se demandant pourquoi l’entrée de cette nouvelle épicerie de quartier leur reste interdite. Alors tous les mardis soirs, une poignée de coopérateurs organisent une réunion pour informer les habitants volontaires sur le fonctionnement du magasin participatif. S’ils veulent participer au projet, ils devront acheter dix parts de dix euros dans la coopérative, devenant ainsi actionnaires d’une société par actions simplifiées. Pour y faire leurs courses, il faudra également qu’ils soient à jour de leurs trois heures de travail mensuelles. Dans la boutique, les coopérateurs remplissent différents postes : à la caisse, à l’approvisionnement ou encore à l’étiquetage. Mais souvent, pour les bénévoles, ces quelques heures se multiplient.
Compter sur un petit groupe de coopérateurs convaincus
« C’est vrai que pour l’instant, c’est un petit noyau dur de personnes très engagées qui font vivre le supermarché », confesse Nicolas, coopérateur aux 400 Coop. Il est d’ailleurs derrière la caisse, même s’il n’est pas inscrit sur le « créneau » de ce début de soirée. « Nous n’avons pas encore atteint le niveau de croisière », sourit-il. « Pour le moment, les trois heures mensuelles des quelque 550 coopérateurs ne suffiraient pas à maintenir le magasin à flots. » Depuis qu’il est sans emploi, chaque semaine, il donne vingt heures de son temps au magasin. La condition, selon lui, pour ne plus avoir à remettre les pieds dans une grande surface.

Fuir les grandes surfaces
La plupart des clients-coopérateurs sont aussi des convaincus de l’alimentation durable, de proximité, voire bio. Dorothée Labastie, mère de famille, s’improvise ce jour-là chef de rayon, étiqueteuse à la main devant le frigo des yaourts. Elle reconnaît s’être depuis longtemps détournée des cercles de distribution classiques : « Avant que la boutique n’ouvre, je commandais la plupart des produits alimentaires sur le site Kelbongoo (une start-up qui livre des produits frais directement de producteurs picards vers trois points-relais parisiens, NDLR). Avant ça, j’allais au marché. Ça a toujours été naturel pour moi : je fuis les grandes surfaces ! ».

Beaucoup de coopérateurs du magasin recherchent un cadre convivial, où rencontrer des personnes partageant leurs valeurs et leurs envies de petite épicerie de quartier. La Louve, ouvert il y a trois ans dans le XVIIIe arrondissent de Paris, a été le premier magasin du type à s’installer en région parisienne. Du haut de ses 1500 mètres carrés sur deux niveaux et ses plus de 8000 adhérents, il semble être un monstre du participatif à côté du petit local en rez-de-chaussée de la jeune coopérative des 400 Coop.
Plus impressionnant encore, le Park Slope Food Coop de New York compte plus de 17 000 membres qui font leurs courses et travaillent dans un supermarché de 2000 mètres carrés. Lancé en 1973, cette petite boutique coopérative devenue géante est considérée comme le modèle de référence qui inspire la plupart des projets de magasins participatifs dans le monde. En France, on en compte environ une trentaine, très souvent installés dans de grandes agglomérations comme Bordeaux, Marseille ou Rennes.
Plus de magasins, mais plus petits
Les 400 Coop ont fait le pari d’ouvrir lorsque la coopérative a atteint 400 membres. Ils voulaient un magasin qui reste à taille humaine. Quitte à ne pas pouvoir ouvrir tous les jours et sur de grosses plages horaires, par manque de membres pour assurer le fonctionnement de la boutique. Déménager comme La Louve, quand le local sera devenu trop petit pour accueillir tous les membres ? Sonia, une des coopératrices en charge de la communication, n’y pense pas une seconde. « Ici, nous avons 170 mètres carrés, et même si la coopérative grandit, nous ne voudrions pas chercher plus grand. On voudrait plutôt aider d’autres associations à mener à bien ce type de projet », explique-t-elle.
« Et, pourquoi pas, monter un groupement de coopératives, qui achèteraient ensemble aux producteurs, afin de bénéficier de tarifs plus avantageux ? On pourrait imaginer un système où, en étant coopérateur aux 400 Coop, on pourrait aller faire ses courses dans le magasin participatif de l’arrondissement voisin. » Un bénévole se prend même à rêver, souriant : « Et peut-être même, un jour, supplanter les grandes chaînes de distribution ! »
Une utopie, selon Mathieu Taugourdeau, directeur général du groupe SOS Emploi et expert de l’économie sociale et solidaire et de l’entrepreneuriat social. « C’est dans l’air du temps. Mais il est peu probable que ce genre de projets puissent s’implanter dans des zones où les habitants se préoccupent moins de la qualité des aliments que du prix. » Les références trouvées dans les magasins participatifs sont en général les mêmes que dans les grandes chaînes de magasin bio. Des produits qui respectent plus de normes (bio, commerce équitable, etc.) sont forcément plus chers que les références classiques. « Et s’improviser vendeur trois heures par mois, sans aide professionnelle, ce n’est pas pour tout le monde! » ajoute-t-il.

Certains membres ne sont pas prêts à embaucher des salariés
Faut-il professionnaliser le projet ? A La Louve et dans un futur magasin participatif du XIIIe arrondissement (Les Grains de Sel), la question ne se pose pas : il faut des salariés pour faire bénéficier les coopérateurs de leur expérience et de leur professionnalisme. Adrien Leroux, futur directeur des Grains de Sel, explique avoir choisi d’embaucher dès l’ouverture. Et ce, pour ne pas que les bénévoles soient désemparés face à des tâches qu’ils n’ont pas appris à exercer. Aux 400 Coop, les avis sont partagés. « Il y a ceux qui disent qu’embaucher irait à l’encontre de la philosophie du projet, et ceux qui pensent qu’au contraire, ça pourrait créer de l’emploi », explique Nathan Bardin, un des responsables de la communication. « Bien sûr, nous mettrons la question à l’ordre du jour d’une assemblée générale. Ce sera aux coopérateurs de décider.»
Mathieu Taugourdeau reste dubitatif face à un modèle qui fonctionnerait uniquement avec des non-professionnels. «Faire fonctionner un magasin est un métier. Par ailleurs, on constate souvent un manque d’investissement dans ce type de projets, notamment en ce qui concerne la gouvernance. Les grandes banques coopératives se plaignent par exemple du manque de participation des actionnaires dans les cercles de décision. Les membres sont plus habitués à un rôle de clients qu’à un rôle de sociétaires. »
Choisir de s’investir dans ce type de structures ne se fait donc pas à la légère. Tout de même prêts à sauter le pas ? La coopérative accueille tout le monde à la simple condition d’acheter 10 parts de 10 euros dans la société. Les étudiants et bénéficiaires des minima sociaux peuvent n’acheter qu’une seule part. Vous n’habitez pas dans le quartier ni même sur notre chère Ligne 2? D’autres projets sont en cours dans la capitale: Les Grains de Sel compte ouvrir en septembre 2019 un magasin de 620 mètres carrés rue du Moulin de la Pointe (XIIIe), et la coopérative de La Source recherche actuellement un local dans le XXe arrondissement pour y installer sa boutique participative.
Tiphaine Niederlaender
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