Le 13 décembre 2018, le théâtre de Ménilmontant fermait brutalement ses portes. Sur fond de défaillances financières et de manquements aux normes de sécurité, les propriétaires du lieu et les associations qui occupent le théâtre se déchirent. L’avenir du lieu est en suspens.
« C’est un grand gâchis, j’éprouve un dégoût énorme », assène Gilles Bacigalupo à l’évocation de la fermeture du théâtre de Ménilmontant, dans le XXème arrondissement de Paris. Ancien vice-président du lieu, il a appris impuissant, le 13 décembre 2018, la fermeture de ce symbole de la vie culturelle du quartier. Depuis son enfance, jusqu’à son actuelle retraite, il a fréquenté ces salles désormais closes. La raison officielle de cette fermeture sans préavis a été placardée sur la porte d’entrée du théâtre, sans beaucoup plus de précisions : des « questions de sécurité » se poseraient.

La formule succincte illustre bien la brutalité de la décision. Ce 13 décembre, l’administratrice provisoire propulsée à la tête du théâtre deux mois plus tôt décide de faire changer les serrures de l’entrée. Parmi les 120 associations qu’accueillait le théâtre, nombre d’entre elles se trouvent à la rue, sans moyen immédiat de récupérer leur matériel et sans espace de travail. Aux cinq salariés du théâtre désormais sans emploi, il faut donc ajouter ces artistes subitement dépourvus de salle de répétition, ces metteurs en scène déprogrammés et ces professeurs bien incapables de dispenser leurs cours de théâtre ou de danse.
Outre les emplois perdus, c’est l’arrêt d’un espace culturel historique de Ménilmontant qui émeut. Plus d’un siècle de représentations marque l’histoire de ce lieu. Guy Rétoré, metteur en scène de renom, y avait élu domicile avec sa troupe La Guilde à partir de 1957. « Il est d’ailleurs décédé deux jours après la fermeture », relève Bertrand Bellon, investi dans la vie culturelle du quartier et membre du Collectif du Théâtre de Ménilmontant. « Le théâtre a toujours été essentiel au quartier. La rue du Retrait est une rue animée, très visitée, où la mixité sociale est exceptionnelle. »
Des propriétaires qui suscitent la suspicion
Malgré sa longévité, la menace d’une fermeture accompagne le théâtre depuis longtemps. « On en parlait déjà il y a 20 ans », affirme Hugues Bacigalupo, directeur du théâtre avant sa fermeture et neveu du vice-président. Il faut dire que la structure souffre d’un sérieux déficit financier depuis ses débuts. Souvent, les dettes contractées sont épongées par les propriétaires des lieux : les Pères Salésiens de Don Bosco, un ordre religieux à la tête de programmes culturels et éducatifs. Ils sont pourtant au cœur de tous les soupçons, accusés d’employer un double discours et de fomenter divers projets pour remplacer le théâtre de Ménilmontant. Déléguant la gestion du lieu à l’ACJB, l’association qui dirigeait le théâtre, les Salésiens ont longtemps entretenu de bons rapports avec celle-ci. « Ca allait jusqu’en 2015 », explique Gilles Bacigalupo. « Deux nouveaux prêtres sont venus casser la baraque. Ces gens-là peuvent dire oui à l’un et non à l’autre », dénonce-t-il.
Père Xavier de Verchère, l’un des deux prêtres incriminés, suit le dossier du théâtre de près et juge « absolument faux » que les Salésiens envisagent autre chose qu’un espace culturel rue du Retrait. « C’est la fonction même des pères Salésiens. Nous souhaitons rouvrir le théâtre », assure-t-il. La mairie du XXème arrondissement, qui tient un rôle de médiateur entre propriétaires et associations, a par ailleurs rappelé aux Salésiens que la loi les obligeait à maintenir dans l’enceinte du théâtre un espace « dédié aux spectacles ». Cette fermeture n’est toutefois pas directement le fait des propriétaires. Après la démission du président de l’ACJB en septembre 2018, ceux-ci saisissent le Tribunal de grande instance, qui nomme une administratrice provisoire pour pallier à la vacance de la présidence. C’est cette dernière qui constatera des manquements aux normes de sécurité et prononcera la fermeture à ce motif. « Dans un premier temps, j’ai songé à une remise aux normes du lieu tout en gardant les mêmes fonctions », explique père Xavier de Verchère.
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Un théâtre au bord de la faillite
Mais la situation financière du théâtre, d’après lui, bloque tout projet. Lorsque sa fermeture est prononcée, une procédure de liquidation judiciaire de l’ACJB est lancée. Le grand flou qui entoure les comptes du théâtre se cristallise en particulier autour d’Ambi Productions. Le contrat liant cette société de production de spectacles à l’ACJB est déclaré illégal, compliquant un peu plus l’établissement d’un bilan comptable rigoureux. Hugues Bacigalupo, à l’origine de ce contrat et licencié pour faute grave peu avant la fermeture, ne sait pas dire ce qui lui était reproché. « Ambi Productions travaillait déjà avec nous depuis plusieurs années et a beaucoup aidé à réduire le déficit. En 2013 et 2014, le théâtre a même connu ses seules années dans le positif grâce à ce partenariat. »

D’autres responsables du théâtre reconnaissent plus volontiers la faible valeur légale de ce contrat avec Ambi Productions. Mais ils craignent surtout que les Salésiens en fassent un prétexte au lancement d’autres projets, comme l’agrandissement de l’école catholique voisine, et déjà propriétaire à 30% des lieux. « Je n’ai jamais caché avoir un projet d’état des lieux des espaces, en incluant l’école dans ce projet », répond le père Xavier de Verchère. Pour l’heure, il assure néanmoins que la priorité reste la réouverture progressive du théâtre, après sa rénovation et sa mise aux normes. Mais le préalable à cette étape est la liquidation judiciaire de l’ACJB, toujours en cours et qui pourrait durer.
Mobilisation pour sa réouverture
Quand bien même le théâtre de Ménilmontant viendrait à reprendre ses activités, les dégâts humains causés par cet épisode ne s’effaceront pas facilement. « Cette histoire est un énorme coup au moral, je rêvais de diriger ce théâtre depuis l’adolescence et j’avais atteint ce rêve », confie Hugues Bacigalupo. Il envisage désormais de contester son licenciement pour faute grave devant le conseil de prud’hommes. « Pour ma part, je n’ai plus d’espoir de recréer le théâtre, pas avec ces gens-là », tranche Gilles Bacigalupo, en référence aux Salésiens. Plusieurs compagnies du théâtre de Ménilmontant nourrissent également une rancœur envers les propriétaires, mais aussi envers Ambi Productions et l’ACJB, qui ne leur ont pas versé les recettes de certains spectacles joués en 2018.
Malgré tout, une mobilisation se fait jour pour défendre le théâtre : habitants du quartier et acteurs du dossier se sont réunis dans le Collectif du Théâtre de Ménilmontant, une association qui se bat pour le rouvrir au plus tôt. Pour plaider sa cause, une pétition signée par près de 3 000 personnes a été lancée. Le collectif assure aussi se prévaloir du soutien de personnalités importantes du monde du théâtre, parmi lesquelles Daniel Auteuil, Nicole Garcia ou encore Emmanuelle Bercot. Il n’en faudra pas moins pour lancer le nouvel acte de la riche histoire du théâtre de Ménilmontant.