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Dans le nord-est parisien : des quartiers à l’abandon ?

Les habitants des quartiers nord-est de Paris seraient-ils traités comme des Parisiens « de seconde zone »? Insécurité, nuisances sonores, dégradations de l’espace public… des collectifs d’habitants dénoncent un abandon des pouvoirs publics. Mais la réalité est parfois tout autre.

«On ne se sent pas oubliés, mais on a l’impression d’être traités différemment des autres Parisiens.» Jean-Raphaël Bourge, président de l’association Action Barbès, se montre prudent. Les déclarations se sont récemment multipliées. Dans une tribune publiée par le Huffington Post le 12 avril 2019, Ruth Grosrichard, membre du collectif Riverains Lariboisière-Gare du Nord, décrivait le nord-est parisien comme un « enfer », en proie à divers maux : « insécurité, saleté, trafics, disparition de la mixité femmes-hommes, toxicomanie, rixes, prostitution ». Des faits que le président d’Action Barbès dénonce également, même si celui-ci préfère se montrer pragmatique.

Réhabiliter l’espace pour réoccuper la rue

Aujourd’hui, l’association Action Barbès est consciente des problèmes inhérents à son quartier, parmi lesquels les vendeurs à la sauvette, les occupations illégales de l’espace public ou encore les commerces peu respectueux du cadre de vie ou autres incivilités. Mais il regrette que l’on « priorise la sécurité et on oublie tout le reste ». Face aux déclarations chocs de certains collectifs, lui voit une solution sur le temps long, et dans une réponse concertée. « Si on veut espérer un vrai changement dans nos quartiers, il faudra des mois, voire des années pour que ca se résorbe. Pour lui, les problèmes sont ancrés et liés à l’histoire de cette zone, « délaissée par les pouvoirs publics pendant de longues années » puis « réhabilitée dans les années 1990 de manière brutale ». Conséquence : ces quartiers bénéficient aujourd’hui d’infrastructures bas de gamme, d’un « espace public dégradé abandonné par le quidam, où s’incruste tout ce qui n’est pas ailleurs dans la ville ».

Alors pour faire face à cela, il faut tout d’abord rendre ce territoire plus attractif et ramener les habitants dans la rue. L’association Action Barbès a ainsi lutté pour que soit mise en place une promenade urbaine sur le boulevard de la Chapelle. Elle est actuellement en construction. « Il faut changer le cadre de vie », affirme-t-il, « que les personnes âgées, les familles reviennent dans l’espace public, et pas seulement les hommes qui pratiquent des activités de commerce illicites ». Une autre amélioration à l’initiative de la mairie du 18ème arrondissement : la mise en place de l’opération « Paris Respire » au printemps 2018. Chaque samedi, les véhicules motorisés sont ainsi interdits autour du boulevard Barbès, une petite victoire pour l’association et la tranquillité du quartier. 

Des quartiers loin d’être abandonnés selon la mairie

A la mairie du 18ème arrondissement de Paris, l’adjointe au maire à la politique de la ville Maya Akkari s’offusque : « Le terme d’oubliés n’est pas adapté pour ces quartiers, la ville de Paris et l’Etat mettent plus de moyens dans ces quartiers populaires par tête que dans les autres quartiers ». En concertations régulières avec les collectifs et associations d’habitants du quartier, l’élue est consciente des difficultés. Mais selon elle, la source du problème vient de l’installation « d’un marché africain dans le 18ème arrondissement », dans un quartier qui n’a pas la capacité d’accueil nécessaire. Aujourd’hui, « Château Rouge, c’est les Galeries Lafayette de l’Afrique », selon l’élue. Un lieu où convergent des personnes venues de l’étranger pour trouver des produits ethniques de meilleure qualité que dans leurs pays d’origine. Mais le lieu implose et la mairie pense à organiser un marché mieux cadré aux portes de Paris, « là ou il y a de l’espace ». Pour le moment, le projet reste embryonnaire. Les défis sont variés, et la mairie, qui n’a pas de compétences en terme de sécurité (qui dépend de l’Etat) ne peut répondre à toutes les attentes des habitants de ces quartiers. 

A lire aussi : Les acheteurs de cigarettes à la sauvette bientôt pénalisés

Mais des actions concrètes existent. Pour endiguer le problème de la saleté dénoncée par les habitants, la mairie a mis en place un sur-nettoyage de certaines rues avec plusieurs passages par jour. Une tâche difficile à gérer pour les agents de propreté : « Quand ils arrivent au bout d’une rue, c’est à nouveau sale » avoue-t-elle. Pour faire face à la multiplication des vendeurs à la sauvette, deux cars de CRS ont été postés à Château Rouge. Mais là encore, difficile pour la mairie d’endiguer un phénomène qu’elle ne peut contrôler en amont : « Ces gens n’ont souvent pas de papiers. L’ancienne commissaire me disaient que les cours débordaient de caddies utilisés par ces vendeurs. On déborde de réfugiés et de sans-papiers ». Si le quartier est aujourd’hui un point d’arrivée des réfugiés, l’adjointe à la mairie regrette que rien ne soit fait en termes d’accueil à l’échelle de l’Etat : « L’Etat dit qu’il ne faut pas mettre en place de structure d’accueil car cela créerait un appel d’air. Mais c’est faux. » Conséquence, ceux-ci se tournent vers des activités illicites qui pénalisent les quartiers Nord-Est. 

Une diabolisation des quartiers nord-est ? 

Selon Jean-Raphaël Bourge et Maya Akkari, les quartiers nord-est sont victimes d’une « diabolisation » à l’heure actuelle. L’élue le déplore : « Je ressens un ras-le-bol face à la stigmatisation (…) la situation est tellement caricaturée qu’il y a une forme de sursaut de certains habitants qui disent « Non mon 18ème ce n’est pas ça » ». Même discours du côté de l’association Action Barbès : « Tous les habitants n’ont pas les mêmes avis et attentes (…) les membres des collectifs, ce sont aujourd’hui majoritairement des hommes blancs avec des revenus de classe moyenne voire supérieure. Les classes plus populaires, on ne les entend pas ». 

S’il est conscient des défis, il souhaite relativiser les propos tenus par d’autres collectifs d’habitants du quartier : « Moi je suis bien et heureux de vivre dans le quartier de la Goutte d’Or, il y a une solidarité assez extraordinaire. C’est une quartier d’artistes aussi … On a des richesses, mais si on ne montre que des choses négatives, les gens ne vont pas venir ». Historien improvisé des lieux, le président d’Action Barbès se souvient d’avoir organisé une visite de la Goutte d’Or, révélatrice de ces a priori sur le quartier : « A la fin de la visite, une jeune fille du 16ème arrondissement qui venait ici pour la première fois m’a dit qu’elle se sentait bête d’avoir eu un a priori négatif sur la Goutte d’Or, que mon quartier était chouette ». 

Créer du lien social et perfectionner le vivre-ensemble semblent aujourd’hui des pistes privilégiées pour rendre le cadre de vie des quartiers nord-est de Paris plus agréable pour tous. 

A lire aussi : Les habitants de Château Rouge excédés par la prostitution

TEXTE & PHOTOS : BASTIEN SERINI

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