Géraldine Schwarz, lauréate du prix du livre européen 2018 pour Les Amnésiques, était invitée à la Maison de l’Europe de Paris, le 16 avril dernier, pour présenter son ouvrage. Un roman, point de départ d’une soirée-débat sur les liens entre le travail de mémoire et l’actuelle montée des populismes en Europe.
Une trentaine de retraités sont présents dans la grande salle de réception de la Maison de l’Europe de Paris, boulevard de Villiers, dans le 17ème arrondissement. Ils sont venus assister à un débat sur le travail de mémoire en Europe entre les auteurs Géraldine Schwarz et Philippe Collin. L’ouvrage de cette première, Les Amnésiques, prix du livre européen 2018, est un roman familial. Géraldine Schwarz, auteure franco-allemande de 45 ans, y interroge ses grands-parents et parents. Car depuis le rachat par son grand-père en 1938, d’un commerce juif, la famille Schwarz entretien un rapport ambigu avec le national-socialisme. Une histoire qui, longtemps tue, a refait surface avec l’enquête de l’auteure, véritable travail de mémoire. Géraldine Schwarz partage l’estrade avec Philippe Collin, autre invité du soir. Il est l’auteur de la bande-dessinée Le voyage de Marcel Grob, là aussi, une histoire de famille, celle du grand-oncle de l’écrivain. Un alsacien enrôlé de force dans l’armée allemande et accusé après-guerre, de crimes nazis.
Comment en est-on arrivé là ?
Entre les deux auteurs, Aline Robert, la rédactrice en chef à EurActiv, modère le débat. D’emblée, elle interroge Géraldine Schwarz : « Comment en est-on arrivé là ? ». « Là », désigne l’Europe actuelle, en proie à la montée des populismes. Et ce soir, les intervenants sont assez unanimement convaincus que le populisme est plus présent et plus développé dans les pays où le travail de mémoire suite à l’Holocauste n’a pas été fait ou trop tardivement. Géraldine Schwarz cite, comme exemples, la Hongrie, l’Italie, l’Autriche ou même l’Allemagne de l’Est. Bien que similaires, les points-de-vues des auteurs sont aussi complémentaires. La directrice de la Maison de l’Europe de Paris, Ursula Sérafin, en est convaincue : « Philippe Collin apporte sa vision du travail de mémoire très franco-française et Géraldine Schwarz a une vision plus allemande de par sa double nationalité. »
Un travail de mémoire inégal en Europe
La thèse de Géraldine Schwarz sur le lien entre travail de mémoire et populisme ne manque pas d’intéresser l’assistance ou l’on distingue un regain d’attention après les explications des enquêtes de chaque auteur. Géraldine Schwarz « ne voit pas comment on peut créer une identité européenne sans jamais parler de l’Europe de l’Est. A l’inverse de l’Europe de l’Ouest, elle ne s’est pas construite sur l’Holocauste. L’URSS a imposé une mémoire, celle du soldat rouge qui défend le peuple contre les nazis mais a tu la Shoah. » Elle insiste également sur les différences très prégnantes entre l’ex-Allemagne de l’Ouest (République fédérale d’Allemagne, RFA) et l’ex-Allemagne de l’Est (République démocratique allemande, RDA).

Une analyse appuyée par Agathe Bernier-Monod, historienne et maître de conférences en études germaniques à l’Université du Havre. Elle explique qu’en RDA : « l’Etat se déclarait antifasciste. Il y avait le mythe d’un pays entièrement communiste ou résistant, à l’inverse de la RFA d’où venaient les nazis. Ainsi le travail de mémoire a été quasiment nul en RDA. Si l’on parlait des crimes nazis c’était pour accuser l’Ouest, alors qu’il y avait certainement autant d’anciens nazis à l’Est qu’à l’Ouest. »
À regarder aussi : L’interview de Géraldine Schwarz dans La Grande Librairie sur France 5.
A l’opposé, en Allemagne de l’Ouest un gros travail de mémoire a été fait, poussé par les allier et ensuite par les Allemands eux-mêmes. « Il y a eu un tournant en 1968 où toute une génération a commencé à poser des questions à leurs parents et leur ont demandé des comptes » explique Agathe Bernier-Monod. D’après elle, ce travail mémoriel peut expliquer les succès électoraux de Alternative für Deutschland (AfD), parti politique d’extrême droite, nationaliste et eurosceptique, dans l’Est de l’Allemagne.
Pour Ursula Sérafin, le même phénomène a eu lieu en Hongrie. Dans le pays dirigé par le populiste Viktor Orban, le travail de mémoire autour de l’Holocauste a été quasiment nul. On assiste donc à un fort rejet des projets européens. « La maison de l’Europe de Budapest a dû se déclarer agent étranger puisqu’elle reçoit de l’argent de l’Union Européenne » soupire-t-elle.
L’absence de travail de mémoire, une explication parmi d’autres
Cependant difficile d’affirmer que l’absence de travail de mémoire est bien une cause de la montée des populismes. « En Allemagne de l’Est c’est surtout la peur du déclassement et les inégalités qui expliquent la montée de l’AfD » nuance Agathe Bernier-Monod. La thèse selon laquelle le travail de mémoire et la popularité des partis populistes sont liés, est en débat chez les historiens. « C’est une querelle qui dure, explique Ursula Sérafin, c’est pour cela que nous avons organisé la rencontre avec Géraldine Schwarz. »

En effet, d’autres historiens sont totalement hermétiques à cette idée. C’est le cas de Serge Klarsfeld par exemple qui le 23 avril déclarait au micro de France Inter : « La Shoah est entrée dans la tête des gens mais pas dans le domaine affectif. C’est une connaissance mais pas un barrage à la barbarie. Dès qu’il y a une crise les barrières de la mémoire sautes. » Autre point soulevé par les détracteurs de cette thèse : des pays ayant fait un gros travail de mémoire comme la France ou l’Allemagne de l’Ouest n’ont pas pour autant échappé à la montée des populistes.
Alors comment rendre ce travail de mémoire effectif et bénéfique pour le futur ? C’est la dernière question posée par Aline Robert à Géraldine Schwarz et Philippe Collin. Pour ce dernier « il faut une mémoire positive, des héros européens comme Fritz Bauer. » Mais le nom de l’instigateur du procès de Nuremberg n’a pas l’air de faire réagir l’assistance, signe que ces « héros européens » sont encore loin d’être connus de toutes et tous.