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Portraits

Voyage en taxidermie

Cette année, à Paris, la campagne de dératisation, lancée en mars, a été allongée de deux mois. En cause :  la prolifération des rats dans la capitale. À quelques mètres de l’arrêt de métro Stalingrad, une boutique anti-rongeurs ne laisse pas indifférent. Dans la vitrine, des souris empaillées jouent des scènes de vie. 

Derrière son comptoir, Charly Krief s’agite dans tous les sens quand retentit la sonnerie du téléphone. Le gérant de l’enseigne de dératisation sort l’appareil de sa poche et entame la conversation. Un client, visiblement. « Alors, ça va ? Vous êtes satisfaits ? », s’enquiert le commerçant de 57 ans. Dans le domaine depuis 28 ans, il a fait de « l’efficacité [son] métier ». C’est en tout cas le slogan inscrit sur les bombes aérosols jaunes de sa propre marque KO, « avec le K pour Krief ». Une idée qui n’est pas de lui. « C’est un client qui était venu m’acheter des produits, il m’a dit : « Il ne vous manque qu’une chose, c’est une devise et c’est comme ça qu’après on a rajouté cette phrase », raconte le patron.

Car dans cette petite boutique du XIXème arrondissement, tout a une histoire. Le gérant lui-même ne semble plus savoir où donner de la tête. Il déambule, attrape un spray, le repose. Puis, du doigt, il montre la vitrine avant de repartir dans des récits rocambolesques. Son anecdote favorite remonte à 2013. Alors qu’il prenait l’avion en direction de New-York avec sa famille, il se retrouve assis à côté d’un taxidermiste, « un homme très connu ». Les voilà partis, lancés dans de longues discussions. Ils échangent sur leur travail respectifs quand, d’un coup, une idée traverse l’esprit du voyageur. Pourquoi ne pas allier rongeur et taxidermie ?

« J’ai tout de suite pensé à la boxe et au poker quand on a parlé car ce projet, je voulais qu’il soit à mon image », Charly krief, gérant de l’enseigne

La  boxe évoque la jeunesse de Charly. C’était sa première idée avec les joueuses de cartes.. ©Paul RUYER

Un mélange déconcertant, duquel résulte une vitrine hors du commun à l’image du gérant. Des souris blanches, gants de boxe au poing, combattant dans un ring… Un peu plus loin, quatre rongeurs sont attablés, cartes en main. « J’ai tout de suite pensé à la boxe et au poker quand on a parlé car ce projet, je voulais qu’il soit à mon image », explique l’ancien sportif. Pendant sa jeunesse, Charly était boxeur. De ses 16 ans à ses 24 ans, il alterne entre boxe française et boxe anglaise. Et le poker ? « J’ai toujours aimé ça, raconte-t-il, je faisais même des tournois avec mes amis ».

Ce passionné n’est pas peu fier de sa nouvelle décoration, qui attire l’oeil. « Dans la rue, tout le monde me connaît. Les gens, ils prennent des photos de la vitrine pour les poster sur Google. Certains m’ont même demandé si je vendais les souris. Mais non, je ne les vends pas… », débite le patron.

Une histoire de famille

Pas de ventes pour ces pièces uniques, réalisées pour les trois boutiques que Charly Krief a montées avec son frère chimiste, il y a trois ans. En collaboration avec des laboratoires, les deux hommes cherchent les bonnes composantes et les bons dosages pour faire leurs produits. Leur mission est d’innover pour savoir piéger les insectes et les rongeurs car « ils sont très intelligents. Les rongeurs, s’ils avaient la grandeur de l’homme, ils mangeraient le monde », s’amuse Charly. Quand il était enfant, il adorait les observer. « Ma tante avait des hamsters, je passais des heures à les regarder », se remémore-t-il.

Depuis, il traque les molécules aux quatre coins du monde pour trouver de nouvelles formules. « La dernière fois, je parlais avec un client qui vient du Japon, il me disait que pour éloigner les rats on pouvait mettre du wasabi en poudre. J’ai fait le test, cela marche. Là, je fais sécher de la menthe pour éloigner les mites », indique-t-il en attrapant un bouquet de feuilles vertes durcies posé sous un renard empaillé.

Des clients satisfaits ramènent de leurs voyages d’autres bêtes, comme ce piranha venu du Brésil. ©Paul RUYER

Une vitrine toujours en cours

Dans la boutique de Charly, il n’y a pas que les formules qui viennent d’ailleurs. Derrière le comptoir, un crocodile miniature trône sur le mur, enfermé dans un cadre en verre. Il lui a été rapporté par un client, venu de l’Île Maurice. Plus loin, un piranha du Brésil orne les étagères. Là encore, il s’agit d’un cadeau. « Quand ils sont satisfaits, les clients me rapportent de nouveaux animaux. Une fois, un client m’a même rapporté un écureuil de son jardin, qu’il a fait empailler. C’est gentil, ça fait plaisir », relate le patron, sourire en coin.

Autant de nouveautés qui viennent s’ajouter à la vitrine. Charly ne semble jamais en avoir fini. Pour être à l’image du quartier, il a misé sur une souris punk. Dans un coin de la devanture, une autre lit un journal, bancale sur un banc. « Celle-ci, c’est un homme que je vois passer tous les matins, il est là son journal à la main. Alors j’en ai fait une souris », s’esclaffe le commerçant, marchant dans la rue, bras grands ouverts pour imiter le protagoniste.

« J’ai vu une jeune femme déguisée en superman dans la rue, elle m’a inspiré » ©Paul RUYER

Prochain projet visé : des souris qui dansent et des rats musiciens. Cette idée lui vient, une fois encore, des Etats-Unis. « J’ai vu cette scène avec des chats et des chiens à Las Vegas, je me suis dit : pourquoi pas faire la même chose ? » Alors, Charly a recontacté son taxidermiste. Mais pour un projet aussi minutieux, il faudra bien attendre entre six mois et un an.

Anna Huot et Paul Ruyer

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